Archiv für Juni 2014

Le pirate informatique, un explorateur des courants juridiques du réseau

L’article étudie la figure du pirate informatique, ses différentes facettes et son évolution sous l’influence du traitement de la technique par le droit. L’analyse s’opère selon l’angle des relations entre les normes juridiques, techniques, et sociales, en se concentrant sur l’influence réciproque des nouvelles technologies qui contournent le droit et des règles du droit qui, en essayant de réguler ces nouvelles technologies, finissent par s’étendre à de nouveaux territoires auparavant non régulés. Des premières radios libres ou pirates aux plateformes de partage de fichiers entre pairs, on observe une régularité dans les tensions et les décalages entre les innovations techniques, d’abord à la marge, et la législation en vigueur. L’extension du champ de la régulation juridique provoque une évolution de la technique, et une généralisation de l’usage de ces techniques pour exercer certains droits menacés par les législations anti-pirates.

Piratages : apports et limites d’une infrastructure d’accès à la culture

Le piratage, l’affaire semble entendue, est un crime. Année après année, les rapports des institutions défendant les intérêts des principales copyright-based industries calculent, de façon souvent bien contestable, le coût économique du phénomène, comptant les pertes en milliards de dollars. Pour mieux convaincre de son caractère nuisible, les liens qu’entretiendrait le piratage avec le crime organisé sont soulignés. Pire, il est accusé de servir à financer le terrorisme international, rien de moins : c’est la conclusion à laquelle parvient une étude commandée en 2009 au think tank Rand Corporation par la Motion Picture Association, qui défend les intérêts des majors d’Hollywood. Dans ce contexte, les « pirates » qui achètent « des copies illégales de films » sont stigmatisés comme contribuant à « soutenir le crime organisé », voire même comme « subven[ant] aux besoins de groupes terroristes » (Treverton et al., 2009, p. 140).

Ces rapports rédigés pour le compte des principales copyr…

La culture pirate à l’épreuve de la forme partisane

Cet article traite de l’émergence du Parti pirate en France et interroge l’influence des nouvelles pratiques et des nouveaux enjeux liés au numérique sur le renouvellement de la participation politique. Un retour généalogique sur la formation permet d’appréhender les héritages culturels (culture geek, culture du libre, culture d’Internet) dont découlent les attitudes politiques de ses membres. L’analyse du profil de ces derniers et de l’organisation interne met en lumière les caractéristiques particulières des pirates en termes d’âge, de genre et de profession. Enfin l’article aborde la question du militantisme en ligne et interroge les spécificités de l’engagement partisan au sein d’une nébuleuse pirate plus large et moins conventionnelle.

« Sur Internet, on est tous pirates, et ça c’est bien. » Entretien avec Jean-Marc Manach

À l’aune des révélations d’Edward Snowden sur les pratiques de surveillance mises en œuvre par les services de renseignement américains – pratiques dont la légalité est discutée au sein de la loi américaine elle-même – les questions de cyber-conflit et de cyber-surveillance n’ont jamais été autant d’actualité. Les technologies de l’information et de la communication, Internet en tout premier lieu, sont de plus en plus utilisées à des fins économiques et militaires – du vol de données stratégiques aux détournements de systèmes industriels. La montée en puissance de l’espionnage, du traçage et de la surveillance numériques, de manière de plus en plus généralisée, est dévoilée non seulement par les récentes révélations de Snowden ou par les activités de WikiLeaks, mais aussi par la construction et l’organisation d’un marché des technologies et des équipements de surveillance qui est de plus en plus répandu et lucratif.

Dans ce contexte, le terme de piratage acquiert de nouvelles facette…

Hacker l’espace public : la citoyenneté insurrectionnelle sur Internet

C’est la parole à l’état de foudre ; c’est l’électricité sociale. Pouvez-vous faire qu’elle n’existe pas ? Plus vous prétendrez la comprimer, plus l’explosion sera violente. Il faut donc vous résoudre à vivre avec elle, comme vous vivez avec la machine à vapeur.
Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe

Les controverses juridico-politiques autour de la liberté d’expression sur Internet offrent le spectacle d’un affrontement entre deux logiques. La première défend le bien-fondé des politiques de restrictions de libertés sur Internet au nom de l’application du droit positif existant et du primat du régime représentatif. Nicolas Sarkozy, qui aimait à rappeler son engagement en faveur d’un « Internet civilisé », avait très bien résumé cette approche à l’occasion d’un événement organisé en 2011 à son initiative, le forum e-G8. Face à un parterre hétéroclite d’acteurs de l’Internet, il expliquait que ce dernier n’était pas « un univers parallèle, affranchi des règles de droit, affranchi de la m…

Les irréguliers : piraterie et Kleinkrieg chez Carl Schmitt

Le pirate est une figure récurrente dans l’œuvre du juriste allemand Carl Schmitt (1888-1985). Il permet en effet de penser une forme d’hostilité fondamentale, une inimitié irréductible qui interroge les limites mêmes des conceptions schmittiennes du politique et du droit (Monod, 2006). Par ailleurs, sa criminalité radicale est d’autant plus manifeste qu’il opère en mer, c’est-à-dire au sein d’un espace ouvert et indéfini où les normes en vigueur sur le sol européen n’auraient traditionnellement pas de « prise », au sens du grec nomos et de l’allemand Nahme (Schmitt, 2007).

Schmitt s’est surtout intéressé au pirate à partir de la fin des années 1930, autrement dit au moment où son regard commençait à se porter essentiellement sur le droit international et la géopolitique (Kervégan, 2011, p. 42-51). Loin d’être le signe d’une « émigration » voire d’une « opposition » intérieure au régime nazi complaisamment entretenue par ses partisans de la « Nouvelle Droite » européenne, le virage i…

La culture pirate et les usages du P2P

Les usages des réseaux de partage entre pairs (peer-to-peer ou P2P) ont été rapidement associés au concept de piratage par divers acteurs des industries culturelles comme par des utilisateurs de ces dispositifs. Cet article propose de considérer les origines de ce rapprochement pour comprendre son utilité dans le discours des différents protagonistes. Nous verrons parallèlement en quoi les usages du P2P et les débats qu’ils suscitent peuvent contribuer à l’élaboration d’une culture pirate et de ses contours. Cette culture pirate, parfois considérée comme expression de résistances et contournements des règles politiques et économiques, est disséminée dans la société et elle est donc aussi intégrée dans les stratégies économiques et politiques. Pour autant, l’invention de pratiques relevant de cette culture pirate ne s’évanouit pas, même s’il faut composer avec des rapports de force.

Piratage, créativité et infrastructure : repenser l’accès à la culture

Prologue : Il était une fois à Malegaon

À environ huit heures de route des lumières de la capitale financière et cinématographique, Bombay, se trouve une ville quelconque, Malegaon. […] Récemment, elle est devenue le centre d’une industrie du film parallèle, qui produit à tour de bras des remakes de succès de Bollywood, en les contextualisant de manière à traiter de questions locales et à satisfaire les goûts locaux. […] Les habitants, travaillant dans une variété de petites industries, sont employés comme acteurs à mi-temps, et les films essaient de rester aussi fidèles que possible à l’original, y compris en termes d’angle de prise de vue, d’éclairage, etc. Évidemment, il est difficile de copier un film à grand budget de Bollywood dans une petite ville comme Malegaon ; la bande de Malegaon a donc dû apprendre à « s’ajuster » et à innover en utilisant les ressources locales pour recréer ces films. […] Ce phénomène est très similaire à l’apparition de Nollywood. Nollywood est le nom …

Une analyse économique du piratage informatique

Dans cette introduction brève à l’article « Une analyse économique du piratage informatique », nous voulons souligner que les a priori conceptuels de Peter Leeson et Christopher Coyne les empêchent de penser l’organisation pirate dans son ensemble, et concentrent l’attention sur les travers et coûts associés à la piraterie sans en prendre en compte ni les implicites idéologiques ni les bénéfices. Dans leur article, Leeson et Coyne enfourchent la thématique courue des incitations à être pirate. Ils écartent d’emblée les diverses variantes du piratage et du bidouillage pour se concentrer sur l’aspect illégal de ces activités : « Tout d’abord, dans la plupart des cas, le bidouillage comme le piratage impliquent un accès non autorisé, et donc constituent des menaces en termes de sécurité, quels que soient les objectifs poursuivis par les personnes qui s’introduisent ainsi de manière illicite dans les systèmes informatiques. » Gênés aux entournures par les « bons pirates », car selon leu…

« Éco-pirates » : Paul Watson et l’organisation Sea Shepherd, trois décennies d’activisme en haute mer

« Il n’est pas nécessaire d’avoir une jambe de bois ou un bandeau sur l’œil pour être un pirate. » Ces mots, prononcés le 25 février 2013, sont ceux d’un juge de la cour d’appel de San Francisco, dans le cadre d’une action en justice entreprise par la flotte baleinière japonaise à l’encontre de l’organisation écologiste Sea Shepherd, ce qui signifie littéralement « le berger des mers ». Les navires de cette organisation sillonnent les océans depuis la fin des années 1970, sous la conduite de son fondateur, Paul Watson, défendant les animaux marins contre la pratique de la pêche illégale au moyen d’opérations radicales. Au fil de celles-ci, le berger s’est progressivement mué en « pirate des mers ». L’emploi de cette dernière expression, dont la nécessaire précision peut sembler un pléonasme, permet de scruter l’évolution du sens conféré au vocable pirate depuis les années 1960.

Voguant sur les eaux internationales, l’organisation pourchasse les baleiniers illégaux contre lesquels ell…