Archiv für September 2016

Les communs urbains. L’invention du commun

Cet article explore, dans une perspective de law & geography, les pratiques de commoning qui, à partir de 2011, se sont développées et diffusées dans le contexte des politiques néolibérales des dernières décennies en Italie. À travers l’analyse des pratiques d’occupation de lieux culturels et de certains processus menés en réseau par plusieurs groupes militants, l’article se propose de mettre en évidence la nouveauté du mouvement des biens communs en Italie, et en particulier la relation entre l’usage de l’espace et la réappropriation de l’outil. Ces expériences des communs urbains, en produisant des relations aux lieux inclusifs et relationnels, ont contribué à alimenter une remise en cause du paradigme propriétaire. Ils ont stimulé, à plusieurs échelles, l’invention de dispositifs juridiques ou de formes d’institutions sociales capables de prendre en compte, parfois de façon contradictoire, la demande d’implication directe et de décision collective qui émerge en l’Italie à partir …

Le travail de Charles Goodwin à l’épreuve de la performance

Cet article vise à lire l’histoire de l’interactionnisme au prisme de celle de l’art contemporain, et en particulier, de la performance telle qu’elle a émergé dans les années 1950 et 1960 aux États-Unis. Nous analyserons les travaux de Charles Goodwin à l’aune d’un certain nombre d’œuvres d’artistes du xxe siècle dont les enjeux théoriques sont proches de ceux soulevés par Goodwin. L’objectif de ce texte est d’offrir un nouvel éclairage sur son travail par la mise en relief de cinq points centraux aussi bien pour l’analyse de l’interaction que pour l’étude des performances : une approche collective du phénomène de speakership, une vision multi-sémiotique de la parole, une perspective procédurale sur l’action, un point de vue holistique sur la multimodalité et une prise en compte de la créativité dans l’accomplissement des pratiques sociales. Une telle mise en parallèle entre ces deux champs disciplinaires relève de la traduction culturelle et vise à donner une vision inédite des phé…

Avant-propos

Qu’introduit-on lorsqu’on traduit les sciences humaines et sociales ? Des idées bien sûr, une langue, une personnalité scientifique quelquefois, mais aussi des façons de faire de la recherche, des formes de jugement, qui dépendent de considérations disciplinaires ou morales, inscrites dans une configuration temporelle et sociale. Traduire un texte de sciences humaines et sociales, c’est donc rendre accessibles ces textes scientifiques mais aussi déplacer et transformer leurs contextes académiques, qui leur donnent sens. C’est, de façon spéculaire, établir ce que ces textes nous donnent à comprendre de nos propres façons d’être universitaires ou politiques, des lignes de force, des débats, en dessinant un nouvel espace commun aux dialogues futurs.

Pour la troisième année, Tracés invite au débat académique dans les pages de son hors-série. Si nous avons conservé la forme modulaire d’une traduction commentée, c’est pour explorer trois possibles de la traduction : la présentation pédagog…

La propriété reconstruite : conflits sociaux et catégories juridiques

Cet article est à la fois une introduction générale à la question des communs, comme mouvement sociopolitique qui anime l’Italie contemporaine, et une réflexion sur l’évolution des catégories juridiques que ces mouvements suscitent. Pour l’auteur, le commun est avant tout une invitation à penser au-delà des oppositions conceptuelles qui structurent le droit moderne, surtout dans sa formalisation sous forme de codes. Public et privé, État et personne, mais aussi nature et culture, forment en effet l’armature d’une pensée philosophique et juridique qui tend à être mise à distance par des expériences politiques nouvelles, qui reflètent l’épuisement de ces oppositions structurelles. L’imagination sociale et l’élaboration de concepts juridiques apparaissent donc comme les deux faces d’un mouvement historique au cours duquel la naturalisation du paradigme propriétaire s’effondre, laissant ouverte la mise en place d’un véritable droit des communs.

L’approche sémiotique de Charles Goodwin : langage visuel, énonciation et diagramme

Ce texte vise à explorer les relations entre les travaux de Charles Goodwin et la sémiotique contemporaine. Dans un premier temps, j’aborde la question des relations entre langages verbal, visuel et gestuel en sémiotique, en étudiant le système notationnel (transcription des échanges) proposé par Goodwin du point de vue de la question des unités constitutives. Un deuxième temps est consacré aux points de rencontre entre la conception du substrat chez Goodwin et la praxis énonciative de Fontanille, pour penser la relation dynamique entre sédimentation et transformation. Dans un troisième temps, j’examine le concept de raisonnement diagrammatique en revenant sur l’exemple des « premières inscriptions » des géologues étudié par Goodwin. Le raisonnement diagrammatique étudié ici fonctionne comme un dispositif de découverte qui permet d’exemplifier la dynamique entre sédimentation et nouveauté. Ce type de dispositif est remis en perspective avec les pratiques de transcription de Goodwin.

L’action en perspectives

« Ces contacts établis [avec Charles et Marjorie Goodwin] sont déjà appréciables si l’on songe à notre traditionnel retard à inviter des chercheurs étrangers – y compris américains – et à les traduire. Ils restent toutefois insuffisants à l’égard d’une œuvre abondante […] et qui occupe une place originale à l’intersection de différentes orientations de recherche » : c’est avec ces mots que Michèle Lacoste introduisait, dans la revue Langage et société en 1989 (p. 81), deux entretiens réalisés respectivement avec Charles et Marjorie Goodwin, alors tous deux professeurs d’anthropologie à l’Université de Caroline du Sud. Aujourd’hui professeur au département des communication studies à l’Université de Californie à Los Angeles, Charles Goodwin est une figure mondialement reconnue de l’anthropologie linguistique, spécialiste de l’analyse de l’interaction et auteur d’un vaste ensemble de publications qui révèlent la consistance de ses préoccupations pour la coordination interactive des co…

Les limites du juridique

Cet article est une lecture critique des trois contributions précédentes, et notamment du point de vue spécifiquement juridique adopté sur la question des communs par la pensée italienne. En revenant sur l’expérience politique des communs, et en la mesurant à d’autres formes de renaissances démocratiques actuelles en Europe, Pierre Dardot défend l’idée selon laquelle le potentiel critique de ce concept et de ces expériences est politique, plutôt que restreint au domaine du droit. En ce sens, c’est le renouveau de la démocratie radicale qui se joue dans ces mouvements, dont les élaborations juridiques ne sont au fond qu’une des expressions parmi d’autres.

Dans les limbes de l’histoire économique

The Poverty of Clio (2011) de Francesco Boldizzoni, instruit un procès à charge contre la cliométrie, sous-discipline de l’économie qui applique la théorie économique à l’étude des sociétés passées. Dans leur section introductive, Christelle Rabier et Pierre Saint-Germier reviennent sur les termes du débat anglophone que l’ouvrage a provoqué, portant sur la finalité et les méthodes de l’histoire économique, et l’absence de réception francophone de la controverse. La cliométrie est restée une curiosité en France, où les historiens et historien-nes économiques, à l’instar de celles et ceux que les éditeurs ont invité à commenter The Poverty of Clio, ont pris des voies scientifiques alternatives.

Biens communs, beni comuni

Est-il encore nécessaire de traduire, et plus encore d’introduire, les textes qui accompagnent le mouvement des biens communs ? N’y a-t-il pas derrière cette expression une tradition théorique désormais bien connue, qui fait partie intégrante des innovations de la pensée critique actuelle ? L’idée selon laquelle la propriété privée serait l’unique condition sous laquelle les choses, les ressources, l’information entrent dans la vie sociale et économique est en effet déjà largement remise en question, et des paradigmes alternatifs existent.

Le pari de ce dossier consiste à montrer que, précisément, l’opération critique à l’œuvre dans le mouvement des biens communs reste à la fois mal connue et inaboutie, en raison de certaines difficultés théoriques et de malentendus historiques. S’il y a lieu de passer par une tradition étrangère pour concevoir cette locution devenue passe-partout, ce n’est pourtant pas parce qu’elle devrait être reconduite à une origine lointaine dans laquelle sa si…

Socialité et co-opération dans l’œuvre de Charles Goodwin. Ou comment penser les passerelles entre linguistique, anthropologie et sociologie

À partir d’une position d’anthropologue linguiste, Goodwin a bâti une véritable armature conceptuelle et méthodologique pour rendre compte de l’organisation des activités humaines. La notion de co-opération y tient une place centrale, et elle permet de prendre en compte ce qui se joue aussi bien dans les conversations ordinaires que dans les pratiques professionnelles, les transmissions culturelles, ou les modes d’expression des phénomènes cognitifs. Une riche pensée systémique se déploie. C’est à la fois sur son parcours (des préoccupations initiales pour le langage à un intérêt pour le corps et les pratiques incarnées dans l’agir collectif), sur les outils et concepts qu’il fait émerger, et sur l’intérêt de tels travaux pour les sciences humaines françaises que le présent article entend revenir.